La Renaissance du Louvre
Après la guerre de Cent Ans, les souverains français, qui ont pris l’habitude de résider loin de Paris, continuent de séjourner majoritairement dans le Val de Loire et ne se rendent dans leur capitale que ponctuellement quelques fois dans l’année. La situation change sous le règne de François Ier (1515-1547), après la défaite militaire du roi à Pavie en 1525 et sa captivité en Espagne. De retour dans son pays, le roi veut reprendre en main sa capitale et décide, par une déclaration officielle de 1528, d’y faire sa principale résidence. Le château médiéval est remis au goût du jour et, à la fin de son règne, le roi décide de le faire reconstruire, mais ce n’est que sous le règne d’Henri II (1547-1559) que sont menés les principaux travaux.
Le Louvre à l’antique de Pierre Lescot
La reconstruction du château voulue par François Ier commence par l’aile ouest qui doit accueillir une grande salle de bal et l’escalier d’apparat menant à l’appartement royal. Au sud, sur la rivière, un grand pavillon (dont les niveaux supérieurs ont été supprimés entre 1806 et 1809) était dévolu plus particulièrement au roi. L’architecte Pierre Lescot supervise tous les travaux, épaulé par des artistes de talent comme le sculpteur Jean Goujon ou le menuisier Scibec de Carpi. Son œuvre est marquée par la volonté d’adapter les formes antiques (colonnes corinthiennes et composites de la façade) avec les nécessités et le goût moderne (grandes fenêtres, hautes toitures). Lescot puise ses références dans les grands monuments de la Rome antique, mais aussi dans les recherches des architectes italiens contemporains pour obtenir un résultat très original.
La façade, avec ses sculptures, se présente comme un véritable portrait codé du souverain parfait qu’est Henri II, à la fois roi de guerre, mais aussi dispensateur de prospérité économique et protecteur des sciences. Les feuilles de lauriers et les arcs qui ornent les frises font référence à la demeure de l’empereur Auguste, bâtie contre un sanctuaire dédié à Apollon, et présentent donc Henri II comme son successeur indirect.
A l’intérieur, la grande salle de bal est ornée de cariatides, inspirées de celles du temple de Mars Ultor à Rome, qui supportent un balcon réservé aux hautbois qui annonçaient les grandes entrées. De l’autre côté, un « tribunal », c’est-à-dire une estrade surélevée encadrée par un arc triomphal, servait de cadre grandiose pour le roi et sa famille. Les autres parties du décor intérieur, que ce soit le grand escalier ou la grande chambre du roi (dont le décor a été déplacé au 19e siècle) accordent une place privilégiée à la sculpture et se démarquent ainsi de l’autre grand chantier royal de la Renaissance, le château de Fontainebleau, où la peinture à fresque joue un rôle majeur.
Catherine de Médicis crée les Tuileries au cœur des guerres de Religion
Après la mort accidentelle du roi Henri II dans un tournoi, son épouse, Catherine de Médicis, est amenée à jouer un rôle politique majeur au moment où les tensions entre catholiques et protestants provoquent les Guerres de Religion. Au Louvre, Lescot poursuit ses travaux par la reconstruction de l’aile sud mais, durant cette période, le château est surtout célèbre pour avoir été le théâtre, en 1572, de la Saint-Barthélemy, massacre des seigneurs protestants venus à Paris célébrer le mariage d’Henri de Navarre, leur chef, et de la reine Margot, fille catholique d’Henri II. Les scènes du Louvre ont donné le signal à une tentative d’extermination des protestants à travers tout le royaume.
Parallèlement aux travaux du Louvre, Catherine de Médicis prend une décision très importante pour l’avenir en achetant entre 1561 et 1569 d’importants terrains dans le faubourg situé cinq cent mètres à l’ouest du château et occupé jusqu’alors par des jardins vivriers, des demeures de plaisance et une petite industrie de fabrique de tuiles (dont la mémoire s’est conservée dans le toponyme des « Tuileries »). Elle veut créer dans ce quartier un grand jardin pour la cour, complété par un palais destiné à son usage. Le jardin, confié à un italien qui dirige des jardiniers français, comporte des fontaines, un laybirinthe et de nombreux éléments ludiques, en particulier une grotte artificielle commandée au céramiste saintongeais Bernard Palissy. Le palais, quant à lui, est confié à deux grands architectes successivement, Philibert Delorme et Jean Bullant, mais les crédits sont trop modestes et il est inachevé et inhabitable à la mort de sa commanditaire en 1589. Il était conçu pour être indépendant du Louvre, mais très vite l’idée d’une liaison entre les deux a été envisagée.
Henri IV et Louis XIII, les premiers Bourbons au Louvre
Henri IV et la Grande Galerie
Les Guerres de Religion s’achèvent sur la fin de la dynastie des Valois et l’arrivée au pouvoir d’un protestant converti au catholicisme, Henri IV, premier souverain de la branche cousine des Bourbons. Il ne rentre à Paris qu’en 1594 et il y réaffirme sa présence par une politique de grands travaux dont le Louvre fait partie. Tout en affirmant vouloir « achever et poursuivre » l’œuvre de ses prédécesseurs, Henri IV en modifie profondément la nature.
Les Tuileries ne sont plus un palais isolé avec trois grandes cours, comme le voulait Catherine de Médicis, mais une demeure de plaisance dépendante du Louvre et entourée de toutes parts par des jardins. Pour relier les deux édifices, les architectes du roi élèvent entre 1595 et 1609 un bâtiment exceptionnel par ses dimensions : une grande galerie de presque un demi-kilomètre de long. Le niveau supérieur est réservé pour le roi et, au-dessous, on trouve des écuries, un atelier de frappe de monnaie, l’imprimerie royale mais surtout des logements destinés à des artistes que le roi souhaite favoriser et protéger du système des corporations de métier. À l’extrémité du rez-de-chaussée du côté du Louvre, une « salle des antiques » accueille la collection de statues du roi. Ces aménagements font du Louvre un lieu privilégié pour le développement des arts. Henri IV puis son épouse Marie de Médicis commandent également de nombreux décors intérieurs très novateurs mais qui ont tous disparu aujourd’hui.
Le Grand Dessein d’Henri IV et Louis XIII
Tous ces travaux font partie d’un programme plus vaste, un « Grand Dessein » qui consiste à faire du Louvre et des Tuileries le plus grand ensemble palatial d’Europe. La partie la plus délicate de ce projet (le quadruplement de la Cour Carrée et la création d’un ensemble cohérent entre le Louvre et les Tuileries) exige de raser toute une partie de la ville qui vient border le palais et rien n’a été entrepris au moment où Henri IV est assassiné en 1610.
Louis XIII, le fils d’Henri IV, a à cœur de poursuivre l’œuvre de son père mais manque de moyens : son royaume est confronté à de fortes tensions intérieures et à la guerre de Trente Ans au dehors. Il parvient néanmoins à doubler en longueur l’aile ouest de la Cour Carrée en dupliquant à l’identique l’architecture de Pierre Lescot. Pour séparer l’ancienne aile et la nouvelle, son architecte Jacques Lemercier imagine un pavillon avec un grand dôme, orné de cariatides. Ce motif est appelé à devenir un poncif de la grande architecture royale que l’on retrouvera au siècle suivant sur de grands monuments comme l’école militaire à Paris.
Le palais du Roi Soleil
Le règne de Louis XIV marque une nouvelle étape dans l’histoire du Louvre et des Tuileries, même si le souverain, à titre personnel, ne semble guère avoir apprécié ses résidences parisiennes. Son ministre Colbert, son architecte Louis Le Vau et son premier peintre Charles Le Brun sont pour beaucoup dans les travaux entrepris pour mener à bien et embellir le Grand Dessein. Au fur et à mesure que le roi gagne en autorité, il s’éloigne de sa capitale et le développement du Louvre se fait donc majoritairement au début du règne (entre 1652 et 1674).
Une mise au goût du jour (1652-1660)
Après le retour du roi en 1652 à la fin des troubles de la Fronde, le premier souci est de moderniser les pièces existantes et d’agrandir les espaces disponibles pour le roi et sa mère, Anne d’Autriche. La Petite Galerie bâtie du temps d’Henri IV est épaissie, prolongée par de nouvelles pièces et mieux reliée au reste du château. Au rez-de-chaussée, un nouvel appartement dit d’été est aménagé pour la reine mère, avec des voûtes ornées de fresques du peintre italien Romanelli et des stucs du français Michel Anguier. Au-dessus, un incendie, en 1661, oblige à refaire le décor de la galerie du roi : c’est la première grande entreprise de Charles Le Brun au Louvre et aussi l’une des premières mises en scène de Louis XIV en Roi Soleil : sur la voûte la course journalière d’Apollon devient la métaphore d’une organisation réglée du monde rendue possible par la monarchie.
Le Grand Dessein inachevé (1660-1674)
À partir de 1659, le cardinal Mazarin, principal ministre du souverain, souhaite terminer le Grand Dessein. S’il s’agit pour lui de poursuivre l’œuvre d’Henri IV et de Louis XIII, le projet gagne en complexité après sa mort en 1661 : l’idée s’impose que pour « un roi d’aujourd’hui », il faut une architecture radicalement moderne et non de vieilles formules mises au point cinquante ans plus tôt. Le débat se focalise surtout sur l’aile est de la Cour, qui marque l’entrée du palais face à la ville. Les ailes sud et nord de la cour sont pratiquement achevées en 1664, lorsque Colbert lance une vaste consultation en France et en Italie. Les plus grands architectes avancent leurs idées et, entre juin et octobre 1665, le célèbre cavalier Bernin vient en France pour mettre en œuvre son projet. Si ce voyage est décisif pour les relations artistiques entre la France et l’Italie, il n’a guère d’impact sur le Louvre car les travaux sont arrêtés immédiatement après le départ de l’artiste et l’édification de la nouvelle aile est finalement confiée à un groupe d’experts français comprenant Louis Le Vau, Charles Le Brun et le théoricien Claude Perrault, épaulés par l’architecte François d’Orbay. Leur réflexion aboutit à un résultat architectural original : la colonnade, considérée comme un manifeste de l’architecture française. Il s’agit d’un portique à la manière d’un temple antique qui est comme un grand décor face à la ville ; ses colonnes jumelées, ses dimensions colossales et la manière de placer l’ordre corinthien en hauteur sur un rez-de-chaussée opaque seront maintes fois imités jusqu’au 18e et au 20e siècle (hôtels de la place de la Concorde et Grand Palais). À partir de 1674, les travaux du Louvre s’essoufflent : si les murs sont achevés, la plus grande partie de la Cour Carrée reste sans plancher, toiture, ni fenêtre.
La transformation des Tuileries (1659-1667)
Comme les travaux menés dans la Cour Carrée rendent le Louvre inhabitable pour longtemps, Colbert fait achever et moderniser les Tuileries pour offrir au souverain une résidence alternative. Les travaux, confiés à l’architecte Louis Le Vau, consistent à achever la partie nord du palais pour lui donner une symétrie parfaite et à épaissir les parties existantes pour donner plus d’espace au roi et à sa famille. Dans la moitié nord, la plus grande salle de spectacle de l’Europe est entreprise sous la direction d’une famille de spécialistes italiens : les Vigarani. Inaugurée en 1662, elle était célèbre pour les dispositifs mécaniques qui permettaient des changements de décor à vue et qui lui ont donné son nom de « salle des Machines ». Trop vaste et peu adaptée aux représentations ordinaires, elle ne servira plus après 1671.
Dans la moitié sud, le roi occupe les deux tiers du premier étage et la moitié du rez-de-chaussée. Il dispose de quatre appartements : une grande enfilade de parade au premier étage de plus de cent-cinquante mètres de long et un logement plus privé à ce niveau. La disposition suit le même principe au rez-de-chaussée et l’un des deux appartements abrite plus particulièrement de riches collections d’antiques. Sous la direction de Charles Le Brun, une armée de peintres et de sculpteurs entreprend en un temps record de décorer des milliers de mètres carrés de murs et de plafonds. Ces travaux annoncent ceux de Versailles et constituent un jalon majeur de l’art français, malheureusement disparus lors de l’incendie des Tuileries en 1871. Le Louvre en conserve quelques vestiges, démontés avant le sinistre.
Le jardin est également radicalement transformé par André Le Nôtre, petit-fils de l’un des jardiniers recrutés par Catherine de Médicis. Il mène entre 1665 et 1669 une relecture de ce lieu auquel il reste attaché toute sa vie et où il prendra sa retraite après 1693. Il modernise le parterre, unifié et orné de broderies de buis et diversifie les parties boisées. Tout en donnant l’apparence d’une régularité géométrique parfaite, il utilise les accidents existants, comme l’ancien bastion qui fermait le jardin à l’ouest, pour créer des rampes et des dénivelés. Enfin, il assure une ouverture visuelle du jardin sur le dehors par des terrasses et par des percées tout en veillant à ce qu’il reste soigneusement clos.
Le Louvre au temps des Lumières : un temple des arts, des sciences et du goût
Après le départ de Louis XIV pour Saint-Germain en Laye puis Versailles, le Louvre est à la recherche d’une nouvelle vocation. Le Roi Soleil y attribue des logements pour ses Académies (française, des inscriptions et belles lettres, des sciences, d’architecture et de peinture et sculpture), ce qui renforce son statut de lieu destiné aux artistes et aux intellectuels alors que les Tuileries restent par contraste le lieu du pouvoir à Paris où le souverain réside lorsqu’il est dans la capitale. Le jeune roi Louis XV y habite de 1715 à 1722, les membres de sa famille y stationnent lorsqu’ils viennent passer la journée à Paris, de même que la reine Marie-Antoinette qui s’y fait aménager un petit appartement pour ses soirées parisiennes.
Le Louvre est lieu d’une intense vie artistique. À partir de 1737, l’Académie de peinture et de sculpture organise régulièrement, dans le Salon carré, une exposition de la production de ses membres. Ces célèbres « salons », qui tirent leur nom du lieu qui les héberge, sont connus dans l’Europe entière par les comptes rendus de presse et par les commentaires comme ceux de Diderot.
Les « philosophes » éclairés se passionnent par ailleurs pour le devenir de l’édifice au cœur de Paris et plusieurs idées sont successivement proposées : placer au Louvre la bibliothèque royale, l’opéra et aussi les collections royales. Toutes ces idées sont résumées sous le nom de « muséum » qui évoque le grand modèle antique d’Alexandrie d’un centre « temple des Sciences, des arts et du goût », selon le mot du théoricien Jacques-François Blondel. Rien de tout cela n’est entrepris et seuls quelques travaux sont menés pour détruire les dernières maisons qui encombrent le centre de la Cour Carrée et le pied de la Colonnade entre 1755 et 1770 sous la direction du marquis de Marigny. Son successeur le comte d’Angiviller commande de nombreux projets pour présenter les collections royales dans la Grande Galerie, mais sans aboutir. Cependant, le 18e siècle pose déjà les termes d’un débat qui nourrira les réflexions et les réalisations du siècle suivant. Deux projets en partie contradictoires se dégagent alors : un lieu de pouvoir et/ou un lieu de savoir.