Sully-RDC – salle 17 - Portrait imaginaire d’Homère aveugle, II°s. (?)
On peut installer son groupe dans le renfoncement sous la fenêtre. Depuis le banc, les élèves voient le portrait sculpté d’Homère.
Homère était l’auteur étudié par tous ceux qui avaient accès aux études dans l’Antiquité gréco-romaine, et c’est dans le contexte hellénistique d’un développement du culte du poète qu’il faut replacer ce portrait imaginaire en buste. S’il s’agit d’une copie romaine d’époque impériale (peut-être du II° siècle) retrouvée dans le mur d’un palais, elle s’inspire d’un original hellénistique reconnaissable par son style dit « pergaménien », qui s’attache à fixer dans la pierre, certaines caractéristiques attendues (cécité, vieillesse, indigence du poète) tout en insufflant une grande dignité au personnage représenté.
On peut orienter l’analyse de l’œuvre avec les élèves par les questions suivantes :
Décrivez le visage. Quelles caractéristiques l’artiste a-t-il voulu transcrire dans la pierre ?
Ce visage est celui d’un vieillard. On le voit à la façon dont est rendue de façon naturelle (« vériste ») la déchéance physique (rides, yeux enfoncés, joues creuses et maigreur), mais le visage est aussi idéalisé (traitement des cheveux et de la barbe, dignité émanant de l’ensemble). On définit cette manière de représenter la physionomie humaine par le terme de « style pergaménien », en vogue au IIe siècle. avant J.-C. dans le monde grec. L’artiste a cherché à rendre la cécité supposée d’Homère, selon la tradition et son élévation au rang d’homme d’exception, de génie par l’adjonction d’un bandeau sur le front. La cécité est le symbole du don poétique de l’aède, qui ne s’attache pas aux apparences extérieures et visibles pour décrire le monde mais qui cherche l’inspiration en lui-même avec l’aide de Mnémosyne (Mémoire), épouse de Zeus avant Héra et mère des Muses. Dans l’Odyssée, l’aède est le poète à qui « la Muse aimante a donné sa part de biens et de maux, car le privant de la vue, elle lui a donné le chant mélodieux » (VIII, 63-64).
Ce portrait réaliste est-il le portrait d’un personnage qui a existé ?
Contrairement à ce que l’on affirme parfois bien vite, rien n’est moins sûr que la réalité de l’existence d’Homère. Pourtant, quelle cacophonie dans les différentes informations qui nous ont été transmises à son sujet. Dans les sources antiques, tout pose problème :
- sa généalogie parfois divine, lorsqu’on fait de lui un descendant d’Apollon, de la Muse Calliope, d’Hermès ;
- sa patrie d’origine avec une préférence dans les textes pour Chios ou l’Asie Mineure ;
- l’époque à laquelle il a vécu, située entre le Xe et le VIIe siècle ;
- son nom de naissance : celui d’Homère (Ὅμηρος) lui ayant été donné après coup parce que son père ou lui-même aurait été « otage » (ὅμηρος) ou en raison de sa cécité (dans le dialecte de Cumes, colonie grecque, ὅμερος signifie « aveugle »). Aujourd’hui, on rattache par étymologie le nom d’Homère au travail de composition des vers (de la racine *ar-, présente dans le verbe grec ἀραρίσκω, (arariskō) « ajuster, accorder » et ὁμοῦ, (homou) « ensemble »).
Autrement dit, autour de ce simple pronom de première personne qui apparaît au premiers vers de l’Odyssée (la « voix du poète » : « Raconte-moi (μοι), Muse, l’homme aux mille tours »), les Anciens ont construit une véritable figure mythique.
Mais alors, qui a écrit l’Odyssée ?
Les spécialistes ne sont pas tous d’accord sur cette question. Pour les uns (qu’on appelle les « analystes »), l’Odyssée qu’on lit aujourd’hui est un texte construit de diverses couches, comprenant des parenthèses, des rajouts de différents auteurs et de différentes époques tout au long de l’Antiquité ; pour les autres (les « unitaires »), au contraire, le texte qui nous a été transmis est fidèle à la première version mise par écrit. Affirmer que l’Iliade et l’Odyssée ne sont pas du même homme fait quasiment l’unanimité aujourd’hui. Le texte de l’Odyssée, quel(s) que soi(en)t son ou ses auteurs, a très certainement été fixé dans une première version officielle sous Pisistrate et ses fils (milieu du VI°s siècle avant J.-C.), et les premières éditions critiques sont rédigées par des érudits de la bibliothèque d’Alexandrie dès les III et II°siècle avant J.-C., qui finissent par imposer une version unique à partir de versions très divergentes.
On pense que l’original grec (II° avant J.-C.) de ce portrait était en pied et assis. Pourquoi la copie romaine d’époque impériale est-elle en buste ; quel usage peut-on supposer à travers ce changement de format ?
Ce portrait d’Homère, référence incontournable dès l’Antiquité, était très certainement placé dans une niche pour orner une bibliothèque, voire dans la galerie d’une maison particulière de riche lettré.
Ressources : Anthologie / la fausse biographie de la Dispute entre Hésiode et Homère (EXTRAIT 1)