Bruxelles, Paris, Madrid. Regards croisés sur la technique et l'iconographie de l'art de la tapisserieCycle de conférences

25 Mars 2021

Bruxelles, Paris, Madrid. Regards croisés sur la technique et l'iconographie de l'art de la tapisserie

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ConférencesCycle de conférences

25 Mars 2021

Trois moments clés de l’histoire de la tapisserie sont ici confrontés: Bruxelles où, à la césure des 15e et 16e siècles, la tapisserie entra dans une ère nouvelle, associant étroitement l’art de la composition picturale à celui du tissage. Paris où, après la mort de Colbert en 1683, les conceptions théoriques de l’Académie royale de peinture édictèrent de nouvelles règles régissant l’activité des peintres cartonniers. Madrid où Goya, de 1775 à 1795, poussa la conception des cartons de tapisserie dans ses derniers retranchements, instaurant la primauté de l’image picturale sur la fonction, jadis première, de la décoration.

 

Tisser à Bruxelles au XVIe siècle entre Maximilien et Charles Quint par Anne Labourdette (musée du Louvre), enregistré à l'Auditorium du Louvre le 25 mars 2021.

Sous les gouvernements de Maximilien de Habsbourg de Philippe le Beau puis de Charles Quint l’art de la tapisserie connaît à Bruxelles une évolution remarquable. La ville devient alors et pour un siècle environ le centre lissier le plus important d’Europe où sont tissées des tapisseries réputées pour la très grande qualité de leur exécution. La manière dont des marchands entreprenants ont su tirer parti de l’installation de la cour raffinée des ducs de Bourgogne à Bruxelles est l’une des causes de cet essor : en jouant un rôle d’intermédiaires efficaces entre les commanditaires et les ateliers ils ont incontestablement stimulé la production de ces derniers.

Le monopole de la peinture des cartons servant à l’exécution des tapisseries accordé aux peintres en 1476 amène d’autre part les lissiers à perfectionner leur technique afin que leur art soit le plus fidèle possible au modèle peint. Dans ce contexte la réception des cartons peints à Rome par Raphaël pour servir à la réalisation d’une importante tenture représentant les Actes des Apôtres marque dans les années 1516-1520 une rupture dans l’histoire de la tapisserie bruxelloise et partant de la tapisserie européenne. Le musée du Louvre présente plusieurs œuvres prestigieuses créées dans ce contexte dont la tenture des Chasses de Maximilien qui devrait en réalité être renommée en… Chasses de Charles Quint.

Anne Labourdette est conservatrice au département des Objets d’art du musée du Louvre depuis octobre 2019 en charge des textiles meubles vitraux et instruments scientifiques de la Renaissance et de la première moitié du XVIIe siècle. Diplômée de Sciences Po Paris (1998) et de l’Institut National du Patrimoine (2003) elle a auparavant dirigé les musées de Vernon (2003-2006) et de Douai (2007-2019).

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Pourquoi tisser Raphaël et Poussin à la Manufacture des Gobelins du temps de Louvois (1683-1691) ?  par Pascal Bertrand université Bordeaux-Montaigne, enregistré à l'Auditorium du Louvre le 25 mars 2021.

L’histoire de la manufacture royale des Gobelins est encore bien souvent perçue comme l’œuvre de Jean-Baptiste Colbert et Charles Le Brun une idée forgée par Voltaire qui voyait dans son Siècle de Louis XIV (1751) un âge d’or perdu. Si le rôle joué par ces deux grands hommes est indéniable il faut aussi admettre que leur action ne couvre environ qu’un tiers du règne de Louis XIV depuis le moment où le roi a commencé à gouverner par lui-même en mai 1661 jusqu’à la mort du ministre en septembre 1683.

La période qui a suivi a été globalement perçue comme n’ayant pas été favorable à la Manufacture car Louvois le successeur de Colbert à la surintendance des Bâtiments du roi a entrepris de faire tisser des peintures et des dessins de maîtres anciens et modernes des œuvres non conçues spécifiquement pour la tapisserie ce qui a eu pour résultat des tentures considérées comme peu originales car saisies comme des copies. Des arguments d’ordre économique et esthétique ont été avancés pour soutenir cette thèse. Mais les explications fournies ne prennent pas en compte l’ensemble des déterminations qui ont fait que ces tapisseries existent sous cette forme. La production des Gobelins se situe sous Louvois comme sous son prédécesseur dans un contexte d’art de cour avec le même but avoué : la gloire du roi et la splendeur de l’art.  

Le propos de cette conférence est de revenir sur ces tapisseries transposant dans le grand format des peintures et dessins de Raphaël Giulio Romano Nicolas Poussin et Pierre Mignard. Ces œuvres ont été peu étudiées elles ont été principalement analysées sous l’angle de la représentation politique mais rarement d’un point de vue esthétique. Il s’agit donc de s’interroger sur le sens de la pratique de la copie en tapisserie dans un contexte d’art de cour où le système de la représentation royale était extrêmement codifié.

Les études sur la tapisserie ont essentiellement privilégié la question du sens des images l’analyse de la storia les programmes iconographiques et leurs significations qui nous renseignent sur la culture de la société. La réflexion sur la pensée figurative et l’invention plastique sur le passage du peint au tissé a été délaissée essentiellement faute de témoignages directs. Les principales sources utilisées sont des documents comptables des écrits qui sont quasiment muets sur les intentions des différents acteurs. Mais il existe d’autres textes des relations mondaines des échanges épistolaires et la littérature artistique. C’est essentiellement de la confrontation de la lecture de cette dernière à l’examen des tapisseries que l’on peut tirer quelque enseignement. Quelles étaient donc les stratégies des Bâtiments du roi en projetant de faire tisser les modèles de la peinture universellement reconnus aux Gobelins ?  
 
Pascal-François Bertrand est professeur d’histoire de l’art à l’Université Bordeaux Montaigne. Il a été professeur invité à l’Université de Hambourg (2009). Il a obtenu la bourse J. Clawson Mills au Metropolitan Museum of Art de New-York (2012-2013) et la bourse Getty Rothschild (2019-2020). Ses travaux portent sur l’histoire de la tapisserie qu’il situe au croisement de l’histoire de la peinture de l’histoire sociale de l’art et de l’histoire de la culture matérielle.

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Les cartons de Francisco de Goya pour la Manufacture royale de Santa Bárbara par Pascal Torres musée du Louvre (Auditorium du Louvre, 25 mars 2021)

Les premières décennies qui suivirent la création à Madrid en 1721 de la Real Fábrica de Tapices de Santa Bárbara – Manufacture royale madrilène de tapisseries – selon le modèle de la Manufacture royale des Gobelins furent marquées par un académisme héritier du Grand Siècle. Si le modèle français perdura sous la direction de la famille Vandergoten d’origine flamande l’iconographie des cartons connut une évolution singulière. Sous le règne de Charles III Roi d’Espagne et des Indes de 1759 à 1788 le conflit engagé entre la valeur iconographique de la composition tissée et sa qualité d’objet décoratif devait atteindre son paroxysme. En effet tant la théorie que la pratique des manufactures royales définies sous le règne de Philippe V reflétaient à l’origine les débats académiques français que l’installation de Francisco de Goya à Madrid en 1775 employé par la Manufacture royale sur la recommandation de Francisco Bayeu rénova pleinement. Non seulement la conception des cartons peints mais aussi l’esprit propre aux arts décoratifs de la Cour espagnole entrèrent avec Goya dans une nouvelle ère.

Durant deux décennies de 1775 à 1795 Goya produisit à lui seul une soixantaine de cartons pour les Manufactures royales. Travaillant à ses débuts sous la direction d’Anton Rafaël Mengs et de Francisco Bayeu, Goya acquit rapidement une complète indépendance. On peut déceler dans les sept séries de cartons réalisés par Goya pour les palais royaux de l’Escorial et du Pardo les prémices de la modernité dont l’artiste fut l’initiateur car par-delà l’indépendance stylistique et technique du peintre cartonnier et à l’instar de son œuvre peint et gravé il poussa la conception de la tapisserie dans ses derniers retranchements affirmant la primauté de l’image picturale sur la fonction jadis première de la décoration. Ainsi l’une des clefs de la compréhension du testament artistique de l’Aragonais – familièrement identifié avec les Pinturas Negras de la Quinta del Sordo – est indissociable de son expérience à la Manufacture madrilène de tapisseries de Santa Bárbara.

 

Pascal Torres Guardiola est membre de la Real Academia de Nobles y Bellas Artes de San Luis (fondée par Goya à Saragosse sur ordre de Charles IV en 1792). Il est conservateur en chef au département des Objets d’Art du musée du Louvre. Conservateur au château de Versailles en charge de la collection des peintures étrangères de 1996 à 2000 puis de la Collection Edmond de Rothschild et de la Chalcographie du musée du Louvre de 2000 à 2014 il est spécialiste des arts graphiques et de la peinture espagnole. Auteur de divers essais et de deux romans il a donné de nombreuses conférences à l’auditorium du Louvre consacrées aux arts graphiques notamment à Francisco de Goya qui demeure son thème de recherches de prédilection.

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