Être reconnu - PénélopeLa Chaire du Louvre

Conférence de la Chaire du Louvre 5/5
par Barbara Cassin, de l’Académie française

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Le lit enraciné et l’extrême ailleurs

Quand les Phéaciens déposent Ulysse sur Ithaque, il ne reconnaît rien. Et lui-même ne sera Ulysse que reconnu. Il l’est d’abord par son chien Argos, qui en crève sur son tas de fumier. La fin de l’Odyssée est un enchaînement de scènes de reconnaissance — le bouvier, Télémaque, la nourrice, Pénélope enfin, « cœur de pierre » lui dit-il. C’est qu’il existe un signe de reconnaissance que seuls les époux connaissent. « Qui donc a déplacé mon lit ?» (XXIII, 185) s’écrie Ulysse quand Pénélope ordonne qu’on le leur dresse : le secret du couple, c’est leur lit enraciné, creusé jadis par Ulysse dans un olivier encore en terre. C’est donc bien Ulysse qui est de retour. Ils retrouvent leur couche et ses droits d’autrefois, et pour eux les dieux retiennent la nuit. Or, ce n’est pas fini, pas tout à fait. Tirésias aux Enfers a fait savoir à Ulysse qu’il devrait repartir : il lui faut « aller de ville en ville en portant une rame polie, jusqu’à ce qu’un autre me croisant demande quelle est cette pelle à grains sur ma brillante épaule » (XXIII). Aller jusqu’à l’extrême ailleurs donc, là où on ne connaît même pas la mer, pour faire enfin la paix avec Poséidon et pouvoir vivre entre les siens le reste de son âge. Le périple ne s’achève pas avec le jour du retour, et il faut évidemment de l’autre pour être soi.

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