Savoir voir : les leçons de Kader Attia

CréationInvitation

Le 22 mai 2025

Après les visites d’ateliers conduites dans les départements du musée en 2023, et le séminaire animé à l’automne dernier au Centre Vivant Denon, « l’hôte du Louvre », actuellement en résidence au pavillon de Flore, a inauguré un cycle de leçons à l’auditorium Michel Laclotte le 3 avril.

L’école du regard 

Selon une expression aujourd’hui consacrée, le Louvre est « une école du regard ». Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que Kader Attia entame son cycle de leçons en se concentrant sur le thème du voir. Dans un entretien avec Donatien Grau pour Grande Galerie, le troisième invité des « Leçons d’artiste » affirme que selon lui « les spectateurs sont aussi importants que les œuvres ». Face au public rassemblé dans l’auditorium, l’artiste mit à l’épreuve la forme d’attention collective qu’il cherche dans son travail au fil d’une conférence, sensible et critique, mêlant la théorie aux images, les formes aux souvenirs, ses pensées à celles des autres.

Il évoque par exemple une soirée de 1982 à la Fête de l'Humanité qui accueillait alors James Brown. Lui, enfant, observait de loin le concert et la silhouette minuscule du chanteur, derrière une barrière avec ses frères. Cette expérience inaugurale éveillait, selon ses mots, « un insatiable désir de complétion du regard ». En évoquant cet écart à combler, Kader Attia retrouve ici le problème de la réparation, un concept central de son œuvre qu’il a exploré sous de nombreuses formes. Il l’a d’ailleurs remis en jeu lors d’une « Visite d’Artiste », à l’automne 2023, en explorant, auprès de visiteurs et au sein des collections, les liens et oppositions entre restauration et réparation. 

Sur les collections du Louvre, l’artiste exerce un regard qui unit les époques. Associant le « Radeau de la méduse » de Théodore Géricault à une scène prémonitoire de la « catastrophe humanitaire que vivent les réfugiés en Méditerranée », il évoque son œuvre Harragas, les Damnés de la mer (2009) qui recompose la toile de Géricault en une vaste mosaïque de photographies représentant les parcours des « harragas », le nom donné aux migrants qui brûlent tous leurs papiers avant de partir. Les leçons de Kader Attia sont des voyages où les idées se chargent d’affects, et les émotions de sens, où le passé retrouve sa force de présent.

Une mise en perspectives

À l’auditorium, Kader Attia projette un extrait de La Valise oubliée (2024), dans lequel sa mère évoque la tutelle tyrannique d’un oncle qui faisait peindre les vitres de sa chambre afin de l’empêcher de regarder dehors, et peut-être aussi d’être vue. Elle y raconte également l’aspiration qui la poussait à gratter la peinture pour retrouver les autres. La peinture peut à la fois ouvrir le monde et le refermer. C’est sans doute pourquoi l’artiste met ensuite en lumière un aspect problématique de la perspective picturale dont le Louvre conserve, dans son architecture comme sur ses cimaises, de prodigieux résultats. Sous un angle critique, Kader Attia propose de penser la perspective comme une vision du monde rationalisée, unidirectionnelle. Point de fuite parfois sans issue, la perspective peut faire obstacle et incarner un certain rapport normatif au voir comme au savoir, une maîtrise systématique qui peut obstruer les horizons mêmes qu’elle prétendait révéler. La perspective implique des règles et par conséquent des fautes, des manquements, des erreurs. 

L’un des enjeux de sa leçon consiste à souligner combien le manque implique une potentialité. Kader Attia évoque ainsi un épisode où, en sculptant le visage d’un soldat blessé, sa lame a dévié par accident, traçant dans le bois un trait inattendu. Lorsqu’il est revenu quelques jours plus tard, il a découvert avec étonnement qu’un détail saisissant était apparu : une lèvre à la fois vive et résolue, fruit du hasard plus que de l’effort, laissant l’artiste, selon ses mots, « seul devant cette beauté dont je n’étais pas responsable, mais le dépositaire ». Ironiquement, la leçon, au sens scolaire que le mot peut aussi suggérer, consiste ici à admettre l’erreur, à accepter les failles, à reconnaître leurs conséquences, voire à leur accorder une forme de confiance.

Prochaine Leçon :

25 septembre 2025

Le corps/regard à l’ère du numérique

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