Le jeu des ressemblances

Mon Louvre par Antoine Compagnon

Le jeu des ressemblances

À l’époque où le jeune Proust, au milieu des années 1890, donnait des rendez-vous au Louvre à Lucien Daudet, le fils d’Alphonse, auquel le liait une amitié tendre, tous deux se retrouvaient dans la salle dite des Sept Mètres, à cause de sa hauteur de plafond (Denon, salle 709). Elle avait été inaugurée en 1874 pour exposer les Primitifs italiens, qui venaient d’être inventés et qui étaient à la mode. Des peintres italiens du XIIIe au XVe siècle y sont toujours accrochés, mais non plus les œuvres pour lesquelles Marcel et Lucien s’enthousiasmaient. Le Couronnement de la Vierge de Fra Angelico et la Bataille d’Uccello trônent à présent dans le Salon carré (Denon, salle 708), tandis que le Portrait d’un vieillard avec un enfant de Domenico Ghirlandaio a rejoint l’orée de la Grande Galerie, tout près de la salle des Sept Mètres et du Salon carré (Denon, salle 710). Proust apercevait les trois œuvres d’un seul coup d’œil, mais je n’ai toujours pas à me déplacer beaucoup pour aller de l’une à l’autre. Au Louvre, Marcel et Lucien s’amusaient au jeu des ressemblances, c’est-à- dire à « retrouver dans la peinture des maîtres, écrira Proust, les traits individuels des visages que nous connaissons ». Qui n’a pas cédé à ce tic un peu facile en visitant un musée ? « Tiens, mais c’est exactement le docteur Cottard ! » Dans la Recherche, c’est Swann, l’amateur d’art, qui hérite de la mauvaise habitude d’appliquer l’art à la vie et qui reconnaît, « sous les couleurs d’un Ghirlandajo, le nez de M. de Palancy ».