La restauration des cartons de Larivière : « Nous avons retrouvé la lisibilité du dessin de l’artiste, sans sacrifier le montage d’origine. »
Arts graphiquesRestauration
Le 19 mai 2025
Trois ans de travail ont été nécessaires pour restaurer les 29 cartons préparatoires de Charles-Philippe Larivière (1798-1876) pour les vitraux de la coupole de la chapelle royale de Dreux. Retour sur un chantier aussi ambitieux que complexe, en compagnie de Marie-Pierre Salé, conservatrice générale au département des Arts graphiques (collections du XIXe siècle), Laurence Caylux, responsable de l’atelier de restauration d'arts graphiques, et Isabelle Drieu la Rochelle, restauratrice du patrimoine.
Qui était Charles-Philippe Larivière ?
M-P S. – Elève de Girodet et de Gros, Grand Prix de Rome en 1824, Larivière est un peintre d’histoire et un portraitiste qui a débuté sa carrière sous la Restauration. Apprécié du roi Louis-Philippe, il a obtenu d’importantes commandes sous la Monarchie de Juillet, parmi lesquelles des cartons de vitraux pour la chapelle de Dreux. Il a terminé sa carrière au début du Second Empire.
Que désigne ce terme de « carton » ?
L.C - Ce terme désigne une catégorie particulière dans le domaine des arts graphiques : un dessin sur feuille de papier, préparatoire pour les grands décors peints, ou pour les arts décoratifs comme les tentures tissées ou les vitraux. Les cartons sont créés en général à l’échelle 1, c’est-à-dire à la dimension de la composition du décor à reproduire ou d’une partie de celle-ci. Les cartons que possède le Louvre dont nous parlons ici, ont servi pour les vitraux de la coupole de la chapelle royale de Dreux.
Maquette réalisée à partir de photographies des vingt-neuf cartons pour reconstituer le projet de Larivière pour le vitrail de la chapelle royale de Dreux
Quel est le programme iconographique ?
M-P S. –Louis-Philippe voulait faire de la chapelle de Dreux un haut lieu d’hommage dynastique et la sépulture des princes et princesses de la famille d’Orléans, il l’a transformée par un ambitieux programme d’agrandissement et de décor. En Juillet 1844, Larivière a reçu une commande pour la verrière de la coupole, sur le thème de la Pentecôte : l’Esprit Saint, sous la forme d’une colombe, descend sur la Vierge et les Apôtres. La coupole, qui représentait un défi technique pour les verriers de la Manufacture Royale de Sèvres, a été très admirée. On peut toujours la voir, car ce lieu magnifique est ouvert à la visite.
En 2021, il a été décidé que les cartons de Larivière devaient faire l’objet d’une campagne de restauration. Qu’est-ce qui a motivé cette entreprise ?
M-P S. – C’est un ensemble historiquement important, d’autant plus remarquable qu’il est complet - ce qui n’est pas toujours le cas des ensembles de cartons qui nous sont parvenus. Pourtant ces œuvres n’avaient jamais été restaurées depuis leur entrée dans les collections sous Napoléon III. Leur état de conservation était devenu préoccupant. Il fallait donc impérativement intervenir, pour stopper et réparer les dégradations, et pour leur redonner un état de conservation et de présentation satisfaisants.
Présentation des cartons en cours de restauration dans l’atelier de restauration. Le carton sur la table au premier plan est placé dans sa boîte de conditionnement fabriquée sur mesure.
De quelle nature étaient les dégradations subies ?
DlR. – Les matériaux constitutifs des cartons (pierre noire et craie blanche sur deux couches de papier vélin chiné gris-bleu renforcé par une toile et tendu sur des châssis), longtemps conservés dans les réserves, ont souffert des variations du climat, de la poussière – et les matériaux organiques s’altèrent inévitablement avec le temps. C’est au moment de la rédaction de constats d’état avant le transfert vers les nouvelles réserves de Liévin que nous avons pu décrire précisément leurs dégradations mécaniques.
Qu’entendez-vous par “dégradations mécaniques’’ ?
Les œuvres étaient endommagées par de nombreux enfoncements, déchirures, lacunes et trous que nous appelons dégradations mécaniques car elles altèrent la structure de l’oeuvre. La toile, censée renforcer le papier au verso, avait elle-même éclaté par endroits. Les châssis n’étaient pas non plus en bon état, les assemblages de certains d’entre eux s’étaient désolidarisés et plusieurs montants avaient disparu.
L.C. – L’ensemble n’était plus homogène. Les toiles et les papiers étaient aussi partiellement détachés de leurs supports à tel point qu’il était difficile de les manipuler pour les transporter, les étudier et éventuellement les exposer.
Le chantier était manifestement complexe. Comment avez-vous procédé pour le mener à bien ?
I. DlR. – Treize personnes ont travaillé durant trois ans sur ce projet*. Des équipes de trois restaurateurs d’arts graphiques se relayaient tous les deux mois et prenaient en charge deux cartons – la composition est divisée en 28 fuseaux de 2,70 mètres de haut sur 70 centimètres de large comportant chacune une figure ou une partie de celle-ci. Des restaurateurs spécialisés en menuiserie et bois sont intervenus sur les châssis et, une restauratrice de dorure du musée du Louvre a pu remettre en état les baguettes dorées qui entourent les cartons.
L.C. – Avant de lancer la restauration, nous avons commencé par mener une étude approfondie sur les matériaux constitutifs (papiers, toile et châssis) et ses altérations. Ce travail, confié à Eve Menei*, a permis de réfléchir à la singularité du montage des cartons : il avait été choisi par l’artiste dès l’origine du projet et n’était pas, comme cela aurait pu être le cas, un remontage ultérieur. La décision a été prise de le conserver intégralement.
Deux cartons en cours de dépoussiérage dans l’atelier de restauration du département des Arts graphiques du musée du Louvre
Ce constat a-t-il eu une influence sur la restauration de l’œuvre ?
I. DlR. – Cela a en effet accru sa difficulté, car de ce fait, la demande était de ne pas démonter les matériaux, comme nous avons l’habitude de le faire. Il fallait préserver les collages existants, nous avons dû trouver des techniques de mise à plat, de renfort et de comblement, sans démontage.
L.C. – Surtout si l’on tient compte du nombre d’éléments traités. Nous avons souvent été amenés à restaurer un ou deux cartons par an. Mais là, on parle d’un ensemble complet comprenant 29 pièces uniques, qu’il a fallu manipuler avec beaucoup de précautions.
Peut-on dire que « le jeu en valait la chandelle « ?
M-P S. – Le département des Arts graphiques est engagé depuis presque trente ans dans de grandes campagnes de restauration de sa collection de cartons, et jouit d’une grande expérience dans ce domaine ; pourtant cette entreprise était exceptionnelle, car la volonté de conserver le montage original pouvait laisser craindre un résultat final moins satisfaisant. Cela n’a pas été le cas, nous avons retrouvé une très bonne lisibilité du dessin, du tracé de Larivière. La restauration est très réussie.
Nous tenons à remercier nos collègues restaurateurs qui ont participé à cette restauration :
Restaurateurs d’arts graphiques : Isabelle Drieu la Rochelle, Hélène Bartelloni, Eve Menei, Sophie Chavanne, Christelle Desclouds, Marie Jaccottet, Laurence Lamaze, Sophie Lennuyeux, Ségolène Walle, Marie Zecchi
Restaurateurs en menuiserie et bois : Jonathan Graindorge, Luc Hurter
Restaurateurs de l’atelier encadrement-dorure du musée du Louvre : Anne Dauvilliers-Tisot
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