Les retours de Simone Fattal au Louvre

Exposition

Le 25 avril 2024

Simone Fattal, récente lauréate du Großer Kunstpreis Berlin, est l’invitée du Louvre. Son travail côtoiera les œuvres et objets du département des antiquités orientales. À cette occasion, et pour le cycle des Leçons d’artiste, Fattal conduira un dialogue avec Ariane Thomas, directrice du département. 

Une conversation ininterrompue 

En 2011, l’écrivaine Ryōko Sekiguchi relate une visite dans le département des antiquités orientales : 

Je n’oublierai jamais ce jour où, peu de temps après avoir découvert [le travail de Simone Fattal], je me suis rendue au Louvre pour voir une exposition. Une fois le parcours terminé, j’ai laissé errer mes pas quelque temps d’une salle à une autre, jusqu’à ce que je sois arrêtée, ébahie : il m’avait semblé reconnaître les œuvres de Simone Fattal. Or, ce qui se trouvait devant moi, c’étaient des figurines et des maisons de petite taille d’époque pré-­mésopotamienne. La ressemblance était telle qu’il me sembla perdre la notion du temps. En une fraction de seconde, toutes sortes d’idées me traversèrent l’esprit : peut-être Simone Fattal était bien l’auteur de ces œuvres, peut-être les avait-­elle déposées en cachette dans cette salle d’exposition ; peut-être était-­elle en réalité potière, sortie tout droit de l’époque antique et transportée jusqu’à nous pour nous permettre d’accéder à ses techniques de fabrication archaïques ; ou bien peut-être avait-­elle mis la main, par je ne sais quelle magie, sur le fantôme d’un antique potier qu’elle faisait travailler pour elle en secret ?

Sa projection se réalise aujourd’hui : à l’invitation du Louvre, les sculptures de Simone Fattal seront exposées dans un département qui abrite des œuvres réalisées depuis la Préhistoire jusqu’au début du VIIe siècle de notre ère. Davantage qu’un dialogue entre une artiste d’aujourd’hui et les premiers temps de l’art, c’est une conversation qui se prolonge entre la sculptrice et le Louvre. 

Cette conversation a démarré sur les bancs de l’École du Louvre quand l’étudiante débutait un cursus en archéologie. Elle s’est poursuivie à travers les « réminiscences » que l’artiste a dit ressentir en commençant à sculpter à la fin des années 1980. Elle s’est continuée durant ses visites au Louvre, seule ou auprès de Donatien Grau et Hans Ulrich Obrist qui, dans son dernier livre d’entretiens, l’interroge sur sa relation au département accueillant aujourd’hui ses sculptures.

Leur échange est peuplé d’instants ou Fattal exerce l’acuité de son regard empreint de savoir et de sensibilité. Ainsi des réflexions formulées devant le Code de Hammurabi, cet ancien texte juridique babylonien inscrit dans une stèle. La fondatrice de la Post-Apollo Press y décrit une forme intermédiaire entre la sculpture et l’édition. Évoquant la « matérialité du texte », elle souligne que les décisions de justices, gravées dans la pierre, sont aussi les premières occurrences d’une jurisprudence qui se distingue de la proclamation de lois rigides valant pour tous. Comme les pratiques artistiques, la jurisprudence est affaire de singularité.

Construire obstinément 

Dans un récent entretien avec Ariane Thomas, l’artiste dit combien certaines maquettes architecturales conservées au Louvre, vieilles de plus de 4000 ans, lui rappellent les maisons qu’elle observait autour de Damas dans sa jeunesse. Elle construit de telles habitations très fréquemment au point qu’il lui a parfois semblé retrouver les siennes dans les vitrines du département. En octobre dernier, durant la soirée de lancement des Conversations du Louvre, Fattal soulignait que « plus le monde est le théâtre de destruction, plus je sculpte mes petites maisons qui ont l’air de ruines mais que j’appelle obstinément ‘maisons’. » Patient travail de l’art à même d’opposer de petits gestes aux démolitions d’ampleur. 

Pour Simone Fattal, sculpter engage un geste à la fois immémoriel et mémoriel. Dépassant les limites auxquelles bute la mémoire, il en active aussi les rouages : « le temps de la sculpture favorise les retours. Pétrir, pétrir et pétrir la terre pour que la tête et le cœur s’ouvrent à ces réminiscences. » 

De ses mots à ses mains, les gestes habitent son œuvre. Gestes qui engagent la main dans l’argile ; gestes en négatif qui demeurent figés dans une empreinte ; gestes que les œuvres peuvent encore impliquer. Sa plus proche alliée, l’artiste et poétesse Etel Adnan, disait que ses sculptures pouvaient être saisies, enlacées. Une autre manière, peut-être, de dire les contacts qu’elles invitent et, par-là, leur profonde humanité. 

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Hathor
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Portes II

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