Lire le Louvre, visiter ses Conversations

CréationVisite d'artiste

Le 14 novembre 2023

Dans Les Conversations du Louvre, récemment paru en coédition avec le Seuil, Hans Ulrich Obrist, commissaire d’exposition et directeur des Serpentine Galleries, s’entretient avec différentes figures et sensibilités de la création contemporaine qui partagent avec lui des observations sur ses collections en s’y déplaçant. À l’occasion de la publication de ces échanges, le musée organise plusieurs rencontres où certains des artistes interrogés par Obrist rejoueront les cartographies de leurs déambulations passées avec d’autres visiteurs.

Des Dialogues aux Conversations

En 1972 dans Les Dialogues du Louvre, l’historien de l’art et critique Pierre Schneider relate l’expérience de visites réalisées dans le musée auprès de douze artistes. En s’y déplaçant, Joan Miró, Barnett Newman ou encore Maria Helena Vieira da Silva évoquent avec lui leur relation aux œuvres abritées dans ses différents départements. Une décennie plus tard, un adolescent suisse découvre pour la première fois le Louvre muni du livre de Schneider. Pendant qu’il chemine, un œil dans le texte et un pied dans ses collections, l’idée de conduire ses propres entretiens chemine en lui. Aux trajets décrits, que sa marche réplique, se joignent bientôt les parcours non réalisés auxquels il songe. Près de quarante ans plus tard, Hans Ulrich Obrist revient au Louvre pour entamer de nouveaux dialogues. Ces conversations, leur prolongement en « visites d’artiste », sont des expériences où se défont et se renégocient les frontières qui séparent les praticiens des observateurs, la flânerie hasardée de la marche résolue, les émotions dîtes des affects informulables.

Les "précieux débris" de Kader Attia

À l’issue de son entretien, Simone Fattal conclura que, trop souvent déconsidérée, « la naïveté est pourtant la marque d’une relation. Celle d’une proximité innocente avec l’extraordinaire ». Une telle nuance dira pourquoi ces visites n’entendent pas édifier l’exceptionnalité des paroles d’artistes. Dès le début de sa visite, Kader Attia qualifie ainsi celle-ci de « point de vue ». Une façon de dire que son regard sera critique, attentif aux relations qui se nouent entre les objets et leurs conditions d’exposition.

Devant un orthostate conservé dans le département des Antiquités orientales, il invite à percevoir la profonde fissure qui le lézarde comme la manifestation d’une absence. Le gain d’une perte. En 1857 dans la Revue des Deux Mondes, Delacroix avait d’ailleurs nommé certains des objets présents dans ces salles de « précieux débris » où semblent « palpiter la vie et une intention de mouvement ». Là où palpite la vie réside l’inéluctabilité de la blessure. L’artiste-guide décrivait donc les aspérités présentes sur différentes sculptures comme des plaies, des balafres, des lésions ou des cicatrices.

Dans le département des Antiquités grecques, étrusques et romaines, les regards du groupe s’orientent sur le visage sculpté de Séleucos Ier Nicator. Une sombre cavité minérale, en lieu et place de son nez, le défigure. Kader Attia fait remarquer que ce volume atteint voisine un portrait présumé d’Antiochos III dont le nez, jadis pareillement mutilé, a été reconstitué. Aujourd’hui encore, le marbre porte les traces visibles de sa restauration. Selon lui, cette juxtaposition animerait un dilemme restauratif : remplir ou admettre le vide ? Un parti-pris muséographique n’est pas seulement une assertion. Il peut rendre un questionnement sensible et le livrer, non résolu, à l’attention des visiteurs. Mais boucher n’est pas réparer. Préserver la visibilité d’un accident pourrait mettre en échec le fantasme d’un corps intact refoulant les heurts de son passé. Le spectre des violences politiques, qui traverse l’œuvre de Kader Attia, planait sur ces associations d’idées. Une manière de suggérer qu’exercer nos regards sur une blessure ne veut pas dire laisser celle-ci ouverte, mais construire les voies pour s’en défaire. Par-là, se défait aussi l’opposition stérile entre forme et contenu : « finalement [conclut l’artiste] je ne fais pas de distinction entre les œuvres dont la beauté m’émeut et celles qui me font réfléchir par la puissance de leurs idées. Ces deux registres me décentrent, me déplacent et m’engagent. »

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Kader Attia

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