Qu’est-ce qui différencie ce nouvel ouvrage des guides précédents ?
Depuis plusieurs années, les guides ont changé de vocation. Les études montrent que, dans 90 à 95 % des cas, ils ne sont pas achetés pour visiter un musée, mais plutôt comme souvenir de visite. Par ailleurs, ils sont de plus en plus souvent offerts par les visiteurs aux membres de leur entourage qui ne peuvent se rendre au musée. Ce type d’ouvrage a acquis une dimension mémorielle et de partage, et c’est à cette évolution que répond cette nouvelle édition. Voilà un guide qui n’en est pas un.
Quels principes avez-vous suivi pour construire ce livre ?
Laurence des Cars, la Présidente-directrice du Louvre, voulait que le livre soit pensé de manière transversale. Elle souhaitait que les œuvres choisies pour l’illustrer soient en partie renouvelées, tout en incluant les œuvres du Pavillon des Sessions*. Et elle désirait viser à un plus grand équilibre dans la représentation des différentes collections.
Le choix de la transversalité vous a conduite à privilégier une structure chrono-thématique. Pour quelle raison ?
L’ouvrage est destiné à être publié dans plusieurs langues, et doit donc être adapté à différentes cultures. L’approche chrono-thématique apporte une dimension factuelle, commune à toutes les zones géographiques. Lier des thèmes à une chronologie partagée a permis de trouver le bon équilibre, ce qui était fondamental car le guide se devait de refléter l’aspiration universaliste du Louvre.
Quel découpage avez-vous choisi de suivre ?
Le sommaire est structuré en onze périodes, qui sont autant de moments-clés de l’histoire mondiale. Elles vont de l’invention de l’écriture à l’abolition de l’esclavage en passant par l’apogée de l’empire du Ghana, et mettent en lumière, à un instant donné, des œuvres provenant de différents endroits. Dès que cela était possible, des œuvres issues du Pavillon des Sessions y ont été associées. Une exigence qui s’est avérée être une obligation heureuse.
Dans quelle mesure ?
Le fait d’ajouter des œuvres venues d’Afrique, d’Océanie ou des Amériques, ouvrait la possibilité de s’affranchir de séquences trop « occidentalo-occidentales », notamment pour aborder des périodes comme le Moyen Âge ou la Renaissance. C’est en partie pour cette raison que le guide accorde également une place de choix à l’art égyptien, aux antiquités orientales, ou encore aux arts de l’Islam.
Donner une certaine vision du Louvre est un choix assumé. En dehors du décloisonnement qui a présidé à son élaboration, comment se manifeste ce point de vue ?
L’ouvrage est ponctué de citations brèves, aussi bien empruntées à Voltaire qu’à Aimé Césaire, ou à Colette, qui ont été soigneusement choisies pour leur pouvoir d’évocation. Par ailleurs, avec Sophie Laporte, la directrice des éditions de la Rmn-GP, nous avons développé l’idée de « haïkus visuels », avec des rapprochements d’œuvres qui scandent l’ouvrage. Cette approche a consisté à comparer, de manière sensible, des œuvres ayant une thématique commune mais étant culturellement éloignées. Ce qui a par exemple permis de mettre en regard la Statue de Touy et La Femme au miroir de Titien dans la rubrique « Beautés ».
Le parallèle est inattendu...
Ce qui est intéressant avec ce type de rapprochements, c’est qu’ils montrent que la représentation de l’être humain change selon les endroits et les périodes. C’est extrêmement important car le Louvre est un lieu de rencontre des civilisations, mais aussi un lieu de visite en commun. Et tous les visiteurs ne perçoivent pas nécessairement les choses de la même manière. Leur regard m’a d’ailleurs été utile pour l’élaboration du guide.
Vous voulez dire que les visiteurs ont influencé le choix des œuvres présentes dans l’ouvrage ?
Au-delà d’une sélection d’œuvres attendues et célèbres, le regard des visiteurs m’a aidée. Pendant trois semaines, j’ai suivi discrètement les gens dans les salles du musée pour voir ce qu’ils regardaient. C’était très intéressant, car leur attention se portait parfois sur des œuvres qui n’étaient pas nécessairement proposées à leur regard de manière immédiate. À l’arrivée, cela a permis d’en retenir certaines, comme le Relief de Séthi Ier et Hathor, qui sont très appréciées des visiteurs. Cet exercice du contrepoint a, malgré tout, ses limites, car lorsqu’il faut choisir à peine plus de 400 œuvres sur plus de 35 000 exposées, l’effet « loupe » reste inévitable.
La structure du livre et les œuvres sélectionnées illustrent les liens qui unissent l’histoire des œuvres et l’histoire du monde. Mais l’ouvrage entrecroise aussi celle du Louvre et celle de l’art. Etait-ce l’intention de départ ?
Je n’ai pas cherché à écrire un guide général de l’histoire de l’art. Je voulais à tout prix éviter l’écueil du dogmatisme. À mes yeux, l’histoire de l’art est avant tout une discipline du regard, de l’accroissement, de la comparaison, de l’évolution, et surtout pas une doxa. C’est pourquoi cet ouvrage montre à la fois la subjectivité de l’œuvre d’art, de l’histoire de l’art, et du regard posé sur l’œuvre. Or, pour rendre cette subjectivité visible, il fallait tisser des liens entre l’histoire du musée et celle de l’art, entre l’histoire des œuvres et celle de leur arrivée au musée.
À quelles découvertes cette « quête des origines » de l’acquisition des œuvres du musée vous a-t-elle conduite ?
Une partie des œuvres sont entrées au Louvre via des collectionneurs privés, qu’ils les aient données ou vendues. Souvent, ce sont eux qui ont eu les premiers l’intuition de leur intérêt, notamment pour des objets associant différentes cultures ou lieux de production, des objets métisses. Cette médiation du goût a été essentielle dans la constitution des collections. Par ailleurs, l’histoire de l’art ne s’est pas « donnée » d’un bloc : le musée s’est construit à rebours, au gré des découvertes, de l’arrivée de nouveaux objets auxquels il fallait bien trouver une place. Le Louvre est un musée vivant, et le meilleur moyen de l’illustrer était d’entremêler son histoire et celle de l’art. Je souhaite saluer tous les travaux récents et anciens de mes collègues d’aujourd’hui et d’hier. La lecture de leurs publications, de leurs recherches, a porté l’ouvrage. Il constitue ainsi également un hommage à celles et ceux qui font le Louvre, depuis 230 ans.
Parler d’un musée comme d’un lieu vivant peut surprendre…
Paul Valéry a écrit, dans un texte demeuré fameux, que les musées semblaient être des cimetières. Je pense que les musées contribuent à rendre les œuvres d’art vivantes. Les musées sont hétérotopiques par essence, car ils mélangent des enjeux d’époques, de genres, de matières... Mais c’est justement ce processus qui donne du sens aux œuvres : tout à coup, elles ne sont plus des objets fermés sur eux-mêmes, mais viennent prendre place dans un récit d’ensemble. C’est aussi ce qui fait du musée une école du regard, et c’est cette idée qui traverse l’ensemble du guide.
Qui dit regard dit plaisir des yeux, et force est de constater qu’il est d’une lecture plaisante. Faire « un guide qui n’en est pas un », c’est aussi cela ?
Nous voulions que le livre soit agréable, que le lecteur se sente « accueilli » en feuilletant ses pages. Il faut à ce titre saluer le talent du maquettiste, Aurélien Farina, et des équipes des éditions de la Rmn-GP et du Louvre. Pourquoi ce désir de rendre l’accueil sensible? Car l’institution muséale fonde notre démocratie. Elle est l’une des premières institutions créées par la Convention. L’idée d’une aspiration universelle, d’un partage, s’incarne à travers elle. Or aujourd’hui, beaucoup de gens considèrent que les musées ne leur sont pas accessibles, car ils n’ont pas les connaissances préalables ou sont étrangers à ses codes. À travers ce livre, il s’agit au contraire de montrer que le musée est accessible à tout le monde. Au-delà du regard – forcément subjectif et imparfait – qu’il offre sur le Louvre, ce guide est aussi une porte d’entrée sur le musée.
*Le Pavillon des Sessions est une ambassade permanente du musée du quai Branly – Jacques Chirac. Inauguré en avril 2000, il se situe au sud du palais du Louvre, entre l’aile de Flore et l’aile Denon, et expose plus de cent chefs-d’œuvre sculpturaux venus du monde entier.